Le passage de témoin : Marie-Louise de La Roche, héritage vivant chez Maison 123

12 juillet 2025

Une transmission familiale au cœur du patrimoine champenois

Le patrimoine viticole familial en Champagne pèse lourd : selon l’INSEE, plus de 65 % des domaines sont familiaux, et un tiers d’entre eux affronte un passage de témoin tous les 15 à 20 ans.

La Maison 123, installée depuis trois générations à Ay-Champagne, incarne cet héritage. Marie-Louise de La Roche, dépositaire d'une histoire commencée dans les années 1920, a longtemps préparé le terrain pour le passage de relais. Un défi qui engage :

  • Des valeurs : l’humilité face au terroir, l’exigence envers la qualité.
  • Des actifs : 17 hectares répartis sur les premiers et grands crus, désormais partagés entre trois branches familiales.
  • Un modèle de gouvernance : la création, dès 1998, d’une holding familiale facilitant la gestion collective des terres (source : Vitisphere).

Marie-Louise ne souhaite pas une simple succession administrative mais une passation habile, qui permette à la fois la pérennité du domaine et le maintien de l’esprit familial.

La préparation en amont : anticipation et dialogue intergénérationnel

La Champagne n’est pas avare de success stories ni de drames successoraux. Pour éviter litiges et éclats, la Maison 123 a, sous l’impulsion de Marie-Louise, organisé depuis le début des années 2010 des réunions familiales régulières.

  • Les invitations sont lancées… dès la majorité des enfants ! L’idée : faire des héritiers de véritables acteurs de la Maison, pas seulement des bénéficiaires passifs.
  • A chaque vendange, un moment rituel réunit générations et équipe autour des enjeux de la récolte et de la commercialisation.
  • Des stages immersifs, y compris à l’étranger, sont proposés aux jeunes susceptibles de reprendre le flambeau, pour s’ouvrir à d’autres pratiques.

Marie-Louise de La Roche cite souvent le dicton champenois : “On ne plante pas la vigne pour soi, mais pour les enfants de ses enfants.” (source : CIVC). La transmission, pour elle, commence par une culture familiale de l’ouverture et de la responsabilité partagée.

La question du partage : démembrement ou indivision ?

Pour nombre de maisons champenoises, le nerf de la guerre reste la gestion des droits familiaux. Incitations fiscales, démembrement de propriété, sociétés civiles immobilières agricoles (SCIA)… Marie-Louise a opté pour un schéma mixte :

  • Création d’une SCIA regroupant conserve la souplesse dans la gestion parcellaire et facilite la location ou la mise en fermage temporaire.
  • Démembrement temporaire de la propriété lors du passage de relais : usufruit laissé au cédant, nue-propriété transmise aux héritiers. Cela permet d’éviter les conflits liés à la gestion immédiate, tout en préparant la relève (source : notaires.fr).

Transmettre plus qu’un terroir : l’art de la vinification et de l’innovation

Si les hectares comptent, l’esprit de la Maison fait la différence : on ne passe pas la main à la légère.

Chez la Maison 123, Marie-Louise considère que la transmission passe par le goût du détail et de l’excellence.

  • Formation des héritiers : chaque génération est invitée à suivre un cursus en œnologie, “par respect pour la vigne et pour les hommes qui la cultivent” précise-t-elle au magazine Terre de Vins.
  • Innovation raisonnée : la nouvelle génération a ainsi impulsé l’arrivée de la gestion numérique du vignoble (drones pour la surveillance, logiciels de gestion parcellaire), tout en conservant les rituels traditionnels de la vendange à la main.

L’apiculture, par exemple, fait désormais partie intégrante de l’écosystème du domaine : une façon pour la Maison 123 d’illustrer comment la transmission, chez les de La Roche, rime avec biodiversité et adaptation (source : Union des Maisons de Champagne).

Les défis du XXIe siècle : fiscalité, identité et époque

Impossible d’évoquer la passation sans parler de fiscalité. La France reste l’un des pays d’Europe où la fiscalité sur les transmissions agricoles et viticoles est la plus lourde : 19 % en moyenne sur la valeur transmise, hors dispositifs spécifiques.

  • La fiscalité liée à la succession viticole peut coûter cher : c’est pourquoi Marie-Louise a anticipé en réalisant des donations-partages progressives, afin de réduire la charge fiscale et d’éviter des ventes contraintes (Le Monde, 2022).
  • L’identité d’une marque demeure un enjeu : garder l’âme d’une maison dans un marché mondialisé, c'est valoriser la Champagne sans dénaturer la signature familiale.
  • Question de genre : si près de 27 % des exploitantes en Champagne sont aujourd’hui des femmes, contre 15 % il y a encore 30 ans, Marie-Louise de La Roche a particulièrement tenu à accompagner sa fille cadette dans ce monde encore perçu comme masculin (source : Vignerons Indépendants de Champagne).

Focus sur la transmission de la marque Maison 123

La marque n’est pas laissée au hasard. Les statuts familiaux protègent le nom (et la signature visuelle) :

  • Le nom Maison 123 est une marque déposée, inaliénable sans consensus familial.
  • Le Conseil de Famille, créé en 2013, valide chaque positionnement produit avant lancement.
  • Une charte d’éthique définit les engagements générationnels en matière agro-écologique, de parité et de solidarité locale.

Les coulisses humaines : confidences et héritages invisibles

Ce que l’on ne dit pas assez, c’est la dimension très intime de la transmission. Marie-Louise de La Roche, marquée par la disparition prématurée de son père, insiste régulièrement, lors de ses entretiens avec de jeunes vigneronnes, sur le besoin de conjuguer transmission matérielle et transmission émotionnelle.

Elle favorise ainsi :

  • La retranscription d’anecdotes familiales dans un “Livre de cave” partagé (où l’on consigne, millésime après millésime, accidents de parcours, coups de cœur, réussites inattendues...).
  • L’organisation de “vendanges témoignages”, où chaque membre, ancien ou futur, partage une histoire marquante liée à la vigne, tissant un fil sentimental entre génération.
  • Un accompagnement psychologique auprès d’héritiers “réticents” ou “inquiétés”, pour prévenir le syndrome dit de l’héritage subi, signalé par 14% des jeunes héritiers champenois (source : Revue Française de Gestion, 2021).

Entre transmission et renaissance : la promesse de la Maison 123

En Champagne, chaque héritage est comme une nouvelle vendange : c’est à la fois prendre la suite et inventer la suite. Marie-Louise de La Roche, à la Maison 123, veille à ce que chaque transmission soit une célébration, un renouvellement, une aventure partagée — bien au-delà de la simple addition d’hectares ou de flacons numérotés.

Parce que transmettre, ici, c’est l’art de mêler mémoire et audace, de bâtir une histoire de femmes, de vins, de racines et d’élans nouveaux. A suivre, au fil des millésimes, dans ce coin de Champagne où l’on ose passer la main avec autant de délicatesse que l’on savoure un grand cru.