Bulles audacieuses : ces maisons de Champagne où les femmes révèlent l’âme de la région

Oubliez les clichés d’antan où seules les figures masculines dictaient les lois du terroir. Depuis une quinzaine d’années, la Champagne voit son visage se féminiser : selon l’Association des Femmes de Champagne, en 2023, près de 35 domaines sont aujourd’hui officiellement conduits par des vigneronnes ou dirigeantes (source : Femmes de Champagne). Cela ne représente encore qu’une minorité sur plus de 300 maisons et 16 000 exploitations viticoles, mais leur impact va bien au-delà des chiffres.

• En 2016, moins de 10 % des maisons et domaines étaient gérés par des femmes.
• Le nombre d’étudiantes en œnologie à l’Université de Reims a doublé en 20 ans (source : Université de Reims).
• En Champagne, 28 % des exploitations familiales voient désormais une femme prendre la relève dans la nouvelle génération (source : Comité Champagne).

Ce n’est pas un hasard si, dans chaque jury ou concours, les femmes champenoises occupent aujourd’hui des places majeures. Leur sensibilité, leur palais et leur volonté de conjuguer tradition et innovation ont changé la texture même des petites et grandes maisons.

Parmi les bulles les plus délicates du vignoble, certaines brillent par la main féminine à leur origine. Zoom sur celles dont l’histoire tisse le fil d’une transmission, parfois révoltée, parfois émancipée, toujours inspirante.

Maison Veuve Clicquot : La première “femme de bulles”

Impossible de parler de femmes et de Champagne sans évoquer Barbe-Nicole Clicquot Ponsardin, devenue Veuve Clicquot en 1805. À seulement 27 ans, cette jeune veuve prend la direction de la maison familiale et révolutionne la Champagne : elle invente la table de remuage, affine la clarté des vins, et pose les bases du “style” Veuve Clicquot. Aujourd’hui, la maison perpétue sa mémoire et continue de s’impliquer dans la valorisation des femmes, via le programme “Bold by Veuve Clicquot”. (Source : Veuve Clicquot).

Champagne Bollinger : l’esprit pionnier

Autre “veuve” légendaire, Lilly Bollinger prend la direction du domaine en 1941. Sa citation sur le Champagne (“je le bois quand je suis heureuse...”) est restée dans toutes les mémoires. Elle travailla elle-même aux vendanges, visita chaque vigne à vélo et imposa l’exigence qualitative qui fait aujourd’hui la réputation mondiale de Bollinger. Même si la direction n’est plus féminine à ce jour, l’héritage de Lilly Bollinger continue d’inspirer les femmes dans la Champagne.

Champagne Drappier : l’élégance familiale et la nouvelle génération

Le domaine familial Drappier, basé à Urville, est aujourd’hui co-dirigé par Charline Drappier, figure de la nouvelle génération. Diplômée de Sciences Po et revenue à ses premières amours, elle a supervisé le passage en bio du domaine et l’expansion à l’international. Elle incarne cette génération de femmes à la fois visionnaires et attachées à la terre (Source : Champagne Drappier).

Champagne Duval-Leroy : l’audace dans l’innovation

Dirigée par Carol Duval-Leroy suite au décès soudain de son mari en 1991, cette maison indépendante située à Vertus fait figure d’exemple. Carol devient la première femme élue à la tête de l’Association Viticole Champenoise, lançant des cuvées de caractère et menant la maison dans une transition écologique volontaire. Sous sa houlette, les cuvées “Femme de Champagne” et “Cuvée des M.O.F. Sommeliers” sont de véritables manifestes féminins (Source : Duval-Leroy).

Champagne AR Lenoble : jamais sans une femme

4ᵉ génération à la tête de cette maison indépendante, Anne Malassagne codirige la Maison AR Lenoble. Visionnaire, elle impulse une profonde mutation vers la viticulture durable (label HVE3), une réflexion sur la gestion du patrimoine familial, et la mise en avant de l’authenticité des terroirs.

D’autres maisons, d’autres visages

• Champagne Gonet-Médeville (Julie Gonet-Médeville)
• Champagne J. Lassalle (Angéline Templier – la devise familiale ? “Un beau vin est l’œuvre d’une femme”.)
• Champagne Agnès Corbon (Agnès Corbon, pionnière du zéro dosage.)
• Champagne Françoise Bedel (Référence champenoise du bio-dynamisme.)

Ce ne sont que quelques noms, mais la liste ne cesse de s’allonger chaque année, témoignant d’une dynamique de fond, portée par la passion et la détermination.

Les femmes qui dirigent ces maisons ne se contentent pas de reprendre un flambeau. Très souvent, elles inventent une nouvelle manière d’honorer la Champagne, de dialoguer avec la vigne et d’imaginer des cuvées singulières.

• Un rapport direct à la terre : Nombre d’entre elles favorisent l’agriculture biologique ou raisonnée. Chez Françoise Bedel, la biodynamie n’était pas une mode mais une évidente nécessité pour préserver les sols. Plus d’un tiers des maisons dirigées par des femmes investissent massivement dans la certification environnementale (source : Comité Champagne).
• La transmission comme valeur cardinale : Loin de l’image d’une succession imposée, beaucoup de maisons valorisent la relève au sein de la famille, souvent sœur et frères ensemble, comme chez Drappier ou AR Lenoble.
• Un goût pour l’innovation : Cuvées parcellaires, micro-vinifications, expériences sans soufre ni dosage… Les femmes assument des choix parfois radicaux et contribuent sans relâche au renouveau stylistique des champagnes.
• La sororité champenoise : Elles se soutiennent et s’affichent en collectif, notamment au sein de l’association “La Transmission, Femmes en Champagne”, créée en 2017 par neuf vigneronnes, pour partager idées, réseaux et ouvrir la voie.

Le dynamisme féminin a un effet mesurable sur la notoriété et l’attractivité de la Champagne.

• En 2022, les maisons ou domaines pilotés par des femmes enregistrent une progression des ventes à l’export de 15 % en moyenne sur les 3 dernières années (source : Comité Champagne, rapport 2023).
• Beaucoup d’entre elles mettent en place un accueil œnotouristique novateur – balades artistiques, ateliers d’assemblage, concerts dans les caves – à l’image d’Anne Malassagne ou de Carol Duval-Leroy, qui rivalisent d’inventivité pour ouvrir la Champagne à tous les publics.
• En 2023, la Champagne a accueilli 1,7 million de visiteurs œnotouristiques, dont une croissance portée en grande partie par les initiatives des maisons menées par des femmes (source : CRT Grand Est).

Elles incarnent un nouvel art de vivre, invitant à la découverte de la région autrement : focus sur l’art, le patrimoine, la gastronomie, l’écologie… L’identité de la Champagne en sort élargie, enrichie, résolument contemporaine.

• Charline Drappier a fait planter dans ses parcelles anciennes toutes les cépages oubliés de Champagne (arbane, petit meslier…) pour valoriser une diversité patrimoniale rare.
• Chez Duval-Leroy, un laboratoire d’essai permanent sur les levures indigènes, piloté par Carol Duval-Leroy, permet de révéler l’expression unique de chaque parcelle.
• La devise apposée sur chaque bouteille de Champagne J. Lassalle – “Un beau vin est l’œuvre d’une femme” – orne aujourd’hui les murs de leur ancienne cave, symbole d’une fierté assumée.

Si elles sont encore minoritaires, les femmes de Champagne sont aujourd’hui omniprésentes dans le récit contemporain du vin. Leur rôle dépasse celui de dirigeantes : elles sont ambassadrices du goût, porte-voix du patrimoine, pionnières dans l’engagement écologique, et tissent aussi la réputation internationale de la région.

Leur influence façonne déjà l’avenir, tant dans la vigne que dans le verre, conjuguant rigueur et intuition, transmission et initiation, humilité et panache. Il n’est plus rare de croiser, dans les caves ou à la table d’un bar à champagne, une vigneronne fière d’ouvrir ses propres flacons. La Champagne n’a jamais été aussi vivante, créative, et, il faut bien l’avouer… féminine et inspirante.