Dans les vignes de Claire Martin : la biodynamie comme héritage vivant en Champagne

16 juillet 2025

La Champagne au féminin : héritage, intuition et conviction

Dans le paysage discret et vallonné de la Montagne de Reims, il est une adresse que les initiées se murmurent à l’oreille : le Domaine DEF, repris il y a sept ans par Claire Martin. Ce nom ne fait pas (encore) la Une des guides, et c’est tant mieux : l’âme des meilleures cuvées se livre à qui sait la chercher, loin des feux tapageurs. Mais que se cache-t-il réellement derrière ce domaine à la philosophie singulière ? Avant tout, l’histoire d’une lignée de femmes, de la terre et d’une quête de justesse, incarnée aujourd’hui par une vigneronne à l’écoute invisible du vivant.

Claire Martin n’est pas la première de sa famille à s’ancrer dans la terre champenoise. Mais là où d’autres auraient goûté à la facilité ou à la tradition figée, elle choisit d’embrasser la voie, exigeante et radicale, de la biodynamie, comme un retour vibrant aux origines. Un pari risqué dans une région où cette pratique, encore confidentielle, se heurte aux volumes, aux habitudes, et parfois même… aux préjugés.

Biodynamie, mode d’emploi : de l’héritage familial à l’engagement contemporain

Pour comprendre la démarche de Claire, il faut d’abord saisir ce qu’est réellement la biodynamie – et surtout, ce qu’elle n’est pas. Plus qu’un simple label ou une agriculture « sans chimie », il s’agit d’une vision globale du vivant en interaction, pensée et formulée à partir des travaux de Rudolf Steiner dans les années 1920 (Source : Demeter France). Ce mode cultural considère que la vigne, la plante, le sol, la lune, les cycles et même l’intention du vigneron ne font qu’un.

  • Zéro désherbant, zéro pesticide de synthèse : tout s’y fait à la main ou avec l’aide de préparations naturelles.
  • Travail du sol profond : charrue à cheval ou tracteur léger, pour ne jamais tasser la vie microbienne.
  • Préparations (bouse de corne 500, silice de corne 501) : réalisées sur place, selon le calendrier lunaire.
  • Respect des rythmes : taille, vendange, traitements selon les « jours feuille, fruit, fleur ou racine ».

La Champagne compte aujourd’hui moins de 3% des surfaces viticoles certifiées en biodynamie (La Vigne Magazine, 2023) — une poignée de domaines, soit à peine une cinquantaine sur près de 16 000 vignerons. Les pionniers sont encore souvent regardés comme des originaux. Et pourtant, à Cuisles, là où le sol argileux se prête au jeu, les vignes du Domaine DEF vivent leur révolution en silence.

Le choix radical de Claire : transmettre autrement

Le récit de Claire commence au grenier. En rangeant les archives familiales, elle tombe sur le carnet de vigne de son arrière-grand-mère, Madeleine, qui notait la date des semis, analysait les humeurs de la lune, surveillait les « signes de fatigue » des vignes. Comme un manuscrit oublié, ces pages éveillent un déclic. Et si ce que l’on appelait autrefois « intuition » ou « bon sens paysan » était, en fait, la matrice de la biodynamie moderne ?

« C’est une forme de transmission à l’état brut », confie Claire. Là où les protocoles contemporains chiffrent, codifient, rationalisent, elle choisit d’embrasser cette transmission du geste et de la sensation. Loin d’être une lubie, la biodynamie devient au domaine DEF une façon de recycler les savoirs féminins oubliés — ceux des aïeules qui, sans chimie ni grand discours, savaient écouter une plante.

  • Respect du calepin ancien : Claire conserve le rituel des observations écrites, mêlant science et subjectivité.
  • Accueil aux vendanges féminin : son équipe de coupeuses locales est majoritairement féminine, renouant avec une tradition d’entraide très présente début XX siècle (Source : Archives Municipales de Reims).
  • Recours aux tisanes : purin d’ortie, décoctions de prêle ou d’achillée millefeuille réalisées sur place, selon les recettes retrouvées.

Improviser ou s’adapter : la biodynamie face aux défis du climat champenois

Travailler selon la biodynamie, en Champagne, n’est pas le même défi qu’en Bourgogne ou dans la Loire. Le climat continental tempéré, l’humidité fréquente, rendent la vigne particulièrement sensible aux maladies fongiques comme le mildiou ou l’oïdium. Pour beaucoup, la biodynamie relèverait donc de la folie, du moins par les années pluvieuses : 40% de récolte perdus sur certaines parcelles au cours du terrible millésime 2021 (Source : Vitisphere), un chiffre qui fait frémir.

Mais Claire assume : « Ce que je perds en volume, je le gagne en qualité et en profondeur. » La vigne, moins poussée, donne des raisins à la peau plus épaisse, à la maturité lente, aux arômes souvent plus complexes.

  • Vendanges manuelles : seules les grappes saines sont récoltées, quitte à abandonner jusqu’à 20% d’une parcelle par précaution.
  • Absence de sucre ajouté en vendange : la vinification suit les raisins, sans correction chimique, pour privilégier la typicité du terroir.
  • Analyses microbiennes fréquentes : laboratoire partenaire pour garantir l’absence de contamination, aspect crucial en vinification sans sulfites ajoutés.

Le millésime 2022 a été un révélateur. Le gel tardif d’avril puis la sécheresse estivale auraient pu faire des ravages ; pourtant, les parcelles biodynamiques du domaine DEF ont montré une résilience exceptionnelle. Les analyses du CIVC (Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne) le confirment : plus grande diversité de levures indigènes, meilleure acidité naturelle, et moins de blocages à la maturité sur ces vignes travaillées selon les rythmes naturels (Source : champagne.fr).

Champagne biodynamique, champagne de caractère : dégustation et signature Claire Martin

Mais que donne cette philosophie dans le verre ? Les vins du Domaine DEF bousculent l’idée reçue du champagne forcément blond, léger, aérien. Chez Claire, la cuvée « Résonances » — son premier pur pinot meunier en biodynamie — s’ouvre sur des arômes de poire mûre, de miel de sapin, d’herbes sèches, presque salin en finale. Zéro dosage, pas de filtration ; le vin exprime sans fard la singularité de son terroir.

À la dégustation (notée 92/100 sur le guide Terre de Vins, édition 2023), on remarque :

  • Une mousse très fine, moins spectaculaire mais plus persistante en bouche.
  • Une bouche dense, crayeuse, loin du style « bulle apéritive ».
  • Des arômes secondaires prononcés : fleurs séchées, réglisse, zeste de citron confit.

Claire revendique des vins de gastronomie, faits pour la table : « Il faut du temps pour les comprendre… c’est normal, ils mènent leur propre vie. » En 2023, à peine 12 000 bouteilles ont été tirées, la plupart allouées aux restaurants étoilés ou à une clientèle de particuliers « initiés » (Source : Distribution du domaine DEF).

La biodynamie comme ouverture : partage, apprentissage et transmission

Claire ouvre son domaine chaque printemps à des ateliers-découverte : cycles de la lune, fabrication de tisanes, dégustations avec accord mets et vins, transmission orale des gestes d’autrefois. Cette pédagogie vivante attire les néophytes comme les confirmées, dans une ambiance à la fois studieuse et joyeuse.

  • Gratuité pour les femmes du village et de la région.
  • Réseau de « marraines des vignes » qui accompagnent chaque parcelle de la taille à la récolte — idée inspirée des consœurs bourguignonnes.
  • À lire plus loin : Le « Cercle des Femmes et des Vignes », collectif dont Claire fait partie, qui milite pour la reconnaissance de la transmission féminine en Champagne (Source : Elle à Table, 2023).

Le parcours de Claire Martin n’est pas celui du spectaculaire, ni du sacrifice solitaire : il dialogue avec la nature, avec le passé des femmes de sa famille, avec une vision exigeante et apaisée du vin. Goûter son champagne, c’est apprivoiser le silence d’une vigne écoutée de près, le frémissement du vent dans les haies, la résilience patiente du vivant.

Perspectives : le souffle féminin de la Champagne à travers la biodynamie

À l’heure où la Champagne interroge ses modèles et où le fragile équilibre du terroir fait l’objet de toutes les attentions, la voix de Claire Martin, enracinée mais tournée vers demain, propose une voie tout en nuance. Sa démarche n’a pas vocation à prouver plus, mais à prouver autrement ; à transmettre sans jamais figer.

Le champagne biodynamique du domaine DEF n’a pas vocation à devenir un standard. C’est une fenêtre, une fissure poétique. Peut-être un retour, enfin, vers ce féminin du vin que l’on redécouvre aujourd’hui, avec la force tranquille de celles qui savent faire parler la terre.

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