L’art de l’assemblage au féminin : secrets et savoir-faire des vigneronnes de Vertus, Avize et Ambonnay

4 septembre 2025

Un territoire, mille nuances : la mosaïque champenoise vue par les femmes

Trois villages pour révéler mille facettes du champagne, trois noms qui résonnent comme des promesses : Vertus, Avize, Ambonnay. Ces terres marquent le cœur de la Côte des Blancs et de la Montagne de Reims. Ici, les femmes de la vigne réinventent l’art de l’assemblage, ce geste presque secret qui donne à chaque bouteille sa signature.

Vertus, berceau du Chardonnay, brille par ses sols de craie tendres, offrant des vins élégants et droits. Avize, icône de finesse, joue la carte de la pureté, tandis qu’Ambonnay, patrie du Pinot Noir, livre des champagnes puissants et structurés. Les vigneronnes y tissent leur récit, singulièrement, portées par une sensibilité aiguisée et une vision souvent différente de leurs homologues masculins.

Qu’est-ce qu’un assemblage champenois ?

Impossible d’évoquer Champagne sans parler d'assemblage. Contrairement aux vins tranquilles, ici, le vin est rarement le produit d’un seul cépage, d’une seule parcelle ou d’une seule année. L’assemblage, c’est l’art délicat de marier :

  • des cépages différents : principalement Chardonnay, Pinot Noir et Meunier
  • des crus et des parcelles variées
  • des vins de différentes années (vins de réserve et vins de l’année en cours)

Ce geste, entre intuition et méthode, vise l’équilibre parfait : tension, structure, fraîcheur, complexité, longueur. Chaque vigneronne s’inscrit dans cette tradition tout en y apportant son prisme.

Le regard féminin sur l’assemblage : une poésie concrète

Plusieurs vigneronnes de Vertus, Avize ou Ambonnay revendiquent un rapport presque charnel au vin. Elles décrivent souvent leur approche comme plus sensorielle, où la dégustation prime sur l’analyse technique. Par exemple, Chantal Gonet, à Avize, souligne l’importance des souvenirs d’enfance, lorsqu’elle goûtait les baies directement sur la vigne.

Voici comment leur démarche se distingue :

  • Écoute du millésime : Accorder toute son attention aux spécificités de l’année, sans forcer un style.
  • Respect du terroir : Préserver la signature des sols, notamment les notes crayeuses ultra-précises d’Avize ou la puissance d’Ambonnay.
  • Intégration du vivant : Nombreuses sont celles qui expérimentent la biodynamie ou la viticulture durable, ce qui a un impact sur la typicité des vins.
  • Travail en famille : Souvent héritières, parfois co-gestionnaires, elles tissent un dialogue permanent entre générations.

Comme le dit Sophie Larmandier-Bernier (Domaine Larmandier-Bernier, Vertus), « L’assemblage, c’est offrir une part de soi sans effacer la voix du sol » (source : Le Monde, « Champagne, le renouveau au féminin »).

Vertus : le terroir du Chardonnay et la quête de pureté

À Vertus, on murmure que les femmes « parlent à la craie ». Ce village classé Premier Cru offre aux vigneronnes un terrain d’expression pour le Chardonnay, cépage roi de la Côte des Blancs. Ici, l’assemblage sert une obsession : sublimer la fraîcheur délicate et l’allonge citronnée.

  • Chiffre-clé : Plus de 85% des vignes de Vertus sont plantées en Chardonnay (source : Comité Champagne).
  • Les cuvées bénéficient souvent d’un apport minimal de Pinot Noir ou Meunier, pour ajouter une pointe de rondeur sans jamais écraser la minéralité.
  • L’utilisation de vins de réserve — parfois sur plus de cinq années — est une signature pour équilibrer vivacité et maturité (source : La Revue du Vin de France).

Ici, l’assemblage se décide lors de dégustations en petites équipes, souvent en binôme mère-fille, un instant suspendu où chaque composante est pesée à la pipette, presque à voix basse, dans des caves où le silence est roi.

Avize : mosaïque de Chardonnays et secrets de parcelles

Si Vertus cultive la justesse, Avize vise l’orfèvrerie. Village Grand Cru, il accueille des domaines féminins emblématiques, comme Gonet ou Agrapart (où l’influence des femmes est très présente, même si la gérance est masculine). Les assemblages privilégient les micro-parcelles et les élevages sur lies longs pour magnifier la tension.

  • Le Chardonnay “multi-facettes” : Les vigneronnes extraient la subtilité de chaque lieu-dit, comme Les Avats ou Les Chemins de Châlons.
  • Sélection massale et parcellaire : Travailler le vin “par pied de vigne” permet de dessiner des cuvées à forte identité, souvent en quantité très limitée (quelques milliers de bouteilles par an).
  • Élevage : De plus en plus, les femmes d’Avize réhabilitent les élevages sous bois (foudres, demi-muids) pour ajouter une touche de gras, sans jamais masquer la fraîcheur (source : Terres et Vins de Champagne).

La minutie de l’assemblage se retrouve dans la dégustation finale, où la sensation en bouche doit répondre à une trame claire : salinité, verticalité, allonge.

Ambonnay : puissance du Pinot Noir, élégance du geste

Ici, le Pinot Noir règne en maître — plus de 90% des surfaces plantées selon la Maison Krug, qui possède un Clos à Ambonnay. Les femmes vigneronnes, comme celles de la famille Marguet ou les artisanes du collectif “Les Fa’bulleuses”, s’attachent à révéler la chair et la vinosité du cépage, sans lourdeur ni excès de maturité.

  • Assemblage monochrome ou multicolore ? Certaines choisissent l’unicité avec des 100% Pinot Noir (blanc de noirs), d’autres préfèrent la complexité, en associant un peu de Chardonnay voire de Meunier local pour apporter fraîcheur et éclat.
  • Clique feminine : Sur les 34 producteurs recensés à Ambonnay, plus d’un quart des domaines sont portés ou co-dirigés par des femmes, une révolution récente (source : CIVC Statistiques internes 2023).
  • Équilibre & crémeux : L’objectif est de dompter la richesse, d’atteindre une texture crémeuse, presque caressante, sans jamais sacrifier la tension.

Les séances d’assemblage sont souvent longues, guidées par ce que certaines appellent “la mémoire tactile du vin” : se souvenir d’une vendange chaude ou d’un hiver rigoureux pour anticiper le comportement des vins dans le verre.

Processus concret : de la dégustation de base à la magie du blend

Comment une vigneronne compose-t-elle son assemblage ? Les étapes sont clés et mêlent avec harmonie expérience, intuition, et technique héritée :

  1. Dégustation des vins clairs (base de l’année, puis vins de réserve sélectionnés) : une moyenne de 20 à 40 bases dégustées en une journée, parfois à l’aveugle.
  2. Élaboration de micro-cuvées d’essai : assembler à la pipette, en jouant sur les proportions au demi-pourcent près (par exemple, 62% Chardonnay, 36% Pinot Noir, 2% Meunier).
  3. Dégustation comparative : évaluer texture, fraîcheur, structure, longueur aromatique.
  4. Validation collective : souvent, la décision finale relève d’une “attaque sensorielle”, où l’intuition féminine complète l’analyse.

La part de vins de réserve est un vrai choix de style : certaines vigneronnes montent jusqu’à 50% de vins de réserve dans leur blend, pour garantir une signature maison, malgré la variabilité des millésimes (source : Champagne Terroir, 2023).

Créativité, audace et engagement

Les vigneronnes de Vertus, Avize et Ambonnay osent sortir des sentiers battus. Quelques tendances émergentes :

  • Assemblages varietaux inédits : apparition de Pinot Blanc, Arbane, Petit Meslier, rarement vinifiés en solo mais parfois intégrés en “épices” pour des cuvées confidentielles (cf. Champagne Bourgeois-Diaz ou Laherte Frères).
  • Moins de dosage : pour laisser parler la matière brute, de nombreuses femmes optent pour des extra-bruts, voire zéro dosage.
  • Micro-vinifications par amphore ou jarre : tester la micro-oxygénation ou le contact prolongé sur lies, pour ajouter encore une nuance à l’assemblage (source : Vignerons Indépendants de Champagne, dossier 2023).

Cette audace va de pair avec une tendance très nette : la montée du bio, du biodynamique, et du minimalisme en cave, pour laisser s’exprimer la personnalité de chaque parcelle.

Une nouvelle génération engagée, des bulles qui racontent des histoires

Depuis une quinzaine d’années, la présence féminine explose dans les villages phares de la Champagne : la proportion de femmes cheffes d’exploitation est passée de 12% à 26% entre 2010 et 2022 au sein de la Champagne (Comité Champagne, chiffres 2022). Non contentes de faire bouger les lignes patrimoniales, elles font rayonner une nouvelle vision : plus sensible à l’humain, à l’écologie, à la complexité sans ostentation.

Leurs assemblages deviennent des partitions : on y retrouve le grain d’un terroir, la mémoire de plusieurs millésimes et la main tendue vers l’avenir. Les bulles, alors, murmurent le récit de toute une région, portée par l’énergie tranquille et créative des femmes du vignoble.

Pour aller plus loin : quelques vigneronnes et cuvées à découvrir

  • Sophie Larmandier-Bernier (Vertus) : Cuvée Latitude, vibrante et caressante, 100% Chardonnay.
  • Chantal Gonet (Avize) : Grand Cru Blanc de Blancs - La pureté de la craie d’Avize à son plus haut degré.
  • Les Fa’bulleuses (Ambonnay et alentours) : un collectif de femmes vigneronnes, cuvées en “blanc de noirs” solaires et expressives.
  • Marguet (Ambonnay) : Surface, mariage délicat de Pinot Noir et de pratiques biodynamiques.

Envie d’aller plus loin ? N’hésitez pas à programmer une balade dans ces villages, à pousser la porte d’un domaine engagé et à prendre le temps d’écouter le récit d’un assemblage naissant, un verre à la main, entourée de femmes passionnées. Ce sont ces moments-là, lumineux et vivants, qui donnent tout leur sens aux bulles et à la Champagne d’aujourd’hui.

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