Trésors cachés de Champagne : à la découverte des cépages oubliés et de celles qui les font pétiller

30 août 2025

Dans l’ombre des bulles, des raisins secrets

Lorsqu’on évoque la Champagne, trois noms surgissent comme des évidences : Pinot noir, Chardonnay et Meunier. Égéries vénérées, ils règnent aujourd’hui sur près de 99% des parcelles champenoises (source : Comité Champagne). Pourtant, il existe une poignée de cépages discrets, hérités d’une longue histoire viticole, qui continuent de bruisser à l’oreille de quelques vigneronnes visionnaires. Arbane, Petit Meslier, Pinot blanc ou Pinot gris – ces raisins révèlent, dans leur rareté, la mémoire vivante d’un terroir qui aime surprendre. Leur présence, timide mais précieuse, invite à explorer la Champagne autrement.

Comprendre les cépages rares de Champagne

Avant de partir sur la trace de ces perles rares, un brin de contexte s’impose : la Champagne autorise officiellement sept cépages (source : champagne.fr), dont quatre sont aujourd’hui quasi marginaux :

  • Arbane
  • Petit Meslier
  • Pinot blanc (droit ou vrai)
  • Pinot gris (ou Fromenteau)

En 1958, ces quatre variétés représentaient à peine 0,6% de la surface champenoise (source : “Le vignoble de Champagne à travers l’Histoire”, de Patrick Dussert-Gerber). Aujourd’hui, elles couvrent moins de 90 hectares réunis, soit moins de 0,3% du vignoble.

L’Arbane : poésie vert pâle et parfum d’ancien temps

Profil et caractère

Confidentiel, l’Arbane ? Le mot semble faible : moins de 10 hectares en production, contre 10 000 pour le Pinot noir ! Originaire du sud de la Champagne, ce cépage blanc laisse dans ses vins des traces de fruits à chair blanche, de fleurs des prés, de fougère, voire parfois un supplément de fraîcheur vive, presque saline. Historiquement réputé difficile à cultiver – maturation tardive, sensibilité au gel –, il n’a été sauvé que grâce à la ténacité de quelques domaines, souvent menés par des femmes passionnées.

Où le trouver ? Les adresses confidentielles

  • Aube – Domaine Moutard-Diligent (Buxeuil)

    Cette maison familiale est LA grande défenseuse de l’Arbane. Leur cuvée "Vieilles Vignes Arbane" – rareté absolue – séduit par sa finesse végétale et sa légèreté aérienne.

  • Vallée de la Marne – Champagne L. Aubry Fils (Jouy-lès-Reims)

    Pierre et Philippe Aubry ont ressuscité non seulement l’Arbane, mais aussi le Petit Meslier sur leur célèbre “Le Nombre d’Or Campaniae Veteres Vites”. Les notes minérales et florales sont au rendez-vous, parfois dans un style presque “hors temps”.

  • Bar-sur-Seine – Champagne Olivier Horiot (Les Riceys)

    La cuvée “5 Sens” rassemble les sept cépages traditionnels, dont l’Arbane, et reflète de très vieilles parcelles réhabilitées depuis peu.

Pour savourer l’Arbane pur, privilégiez les dégustations en domaine ou certains bars à champagne spécialisés, car la production annuelle ne dépasse pas les quelques milliers de bouteilles.

Le Petit Meslier : l’énergie du vivant

Ce que cache ce cépage

Disparu à plus de 99% des vignobles au fil du XXe siècle, le Petit Meslier n’est plus que sur environ 20 hectares aujourd’hui (source : Comité Champagne, chiffres 2022). Il séduit pour son acidité marquée, sa tension ciselée, et ses arômes de pomme verte, de citron confit voire d’herbes fraîches. Sa vulnérabilité naturelle – maladie, gel, maturité inégale – en fait le choix des téméraires, ou des passionnées du vivant.

Explorer les terroirs du Petit Meslier

  • Montagne de Reims – Champagne Laherte Frères (Chavot)

    La cuvée “Les 7” assemble les sept cépages historiques. On retient surtout l’incarnat très citronné du Petit Meslier, qui laisse en bouche une sensation d’un matin de rosée.

  • Vallée de l’Ardre – Champagne Duval-Leroy

    Avec sa cuvée “Authentis”, on retrouve le Petit Meslier dans une alliance rare avec l’Arbane. L’ensemble vibre d’une tension cristalline, magnifiée par l’élevage sur lies.

  • Côte des Bar – Domaine Drappier (Urville)

    Le “Quattuor” de Drappier assemble Pinot blanc, Petit Meslier, Arbane et Chardonnay : un manifeste pour la diversité ampélographique, à découvrir absolument chez ce pionnier de l’Aube.

Certaines vigneronnes, telles qu’Elisabeth Pierre ou Aurore Casanova, militent pour la valorisation du Petit Meslier avec une approche biodynamique ou agroécologique – autant d’occasions de marier découverte du goût et respect du vivant.

Pinot blanc et Pinot gris : les discrets compagnons

Pinot blanc

Le Pinot blanc (aussi appelé “Pinot blanc vrai”) n’occupe que 0,2% du vignoble (source : Comité Champagne). Il offre aux vins une rondeur crémeuse et une délicatesse fruitée, évoquant la poire mûre, les fleurs blanches, parfois un nuage d’amande fraîche. Son retour en grâce s’explique par le réchauffement climatique et la volonté de diversifier la palette aromatique champenoise.

  • Côte des Bar – Champagne Drappier (Urville)

    Ici, le “Blanc Vrai” 100% Pinot blanc se savoure comme une madeleine, rappelant la Champagne d’antan.

  • Vallée de la Marne – Champagne Pierre Gerbais (Celles-sur-Ource)

    Le “L’Originale” rend un hommage subtil au Pinot blanc – un must pour l’apéro entre copines curieuses.

Pinot gris ou Fromenteau

Plus anecdotique encore (moins de 5 hectares recensés), le Pinot gris, appelé localement Fromenteau, entre parfois dans l’assemblage de micro-cuvées. Son potentiel, porté sur la texture et les notes d’écorce d’orange confite, redonne du fil à retordre aux vinificatrices aventurières.

  • Champagne Aubry Fils

    Souvent inclus dans “Le Nombre d’Or”, il permet d’explorer la vieilles traditions d’assemblage en Champagne.

Pourquoi ces cépages avaient-ils disparu ?

Au-delà de la mode, l’histoire a pesé : gelées dévastatrices de 1956, standardisation après la Seconde Guerre mondiale, législation orientée vers la productivité… Tout a concouru à la quasi-disparition de ces cépages, jugés trop “capricieux” pour l’efficience moderne. Pourtant, ils offrent une réponse poétique à la crise climatique actuelle grâce à leur fraîcheur, leur rusticité et leur singularité aromatique. Les maisons qui osent les replanter – souvent des domaines familiaux, menés par des femmes ou de nouvelles générations – incarnent ce retour au goût de l’aventure.

Focus : Femmes & cépages rares en Champagne

Longtemps reléguées en coulisses, les femmes illustrent aujourd’hui ce nouvel élan d’audace et de transmission. Alexandra et Stéphanie Regnault (Champagne Leclerc Briant), Aline et Anne-Sophie Gerbais (Pierre Gerbais), Amélie Moutard (Moutard-Diligent) ou Nathalie Vignier (Champagne Vignier) sont autant de visages qui s’engagent dans la reconquête des cépages disparus – et dans la valorisation d’une Champagne naturellement plus riche, plus vibrante, plus libre.

  • Collaboration avec les conservatoires ampélographiques pour sauver le patrimoine génétique
  • Pari sur le bio, le sans dosage, les vinifications sobres, pour révéler le cœur du fruit
  • Organisation de portes ouvertes et balades dans leurs parcelles, où la rareté devient partage

Où déguster ces bulles insolites ?

Pour partir à la rencontre de ces cuvées (et de celles qui les façonnent), voici quelques conseils :

  • Participer aux salons spécialisés : Bulles Bio à Reims, Champagne Tasting à Paris, ou Les Printemps des Champagnes, où plusieurs caves mettent à l’honneur ces cépages oubliés. Plus d’infos.
  • S’inviter en cave : Beaucoup de vigneronnes proposent des visites thématiques sur réservation. Un must à faire entre amies, pour comprendre le parcours du grain de raisin à la bulle.
  • En épiceries fines et bars spécialisés : Quelques adresses à Reims (Au Bon Manger, La Champagnothèque) ou à Épernay (La Cave Salvatori) proposent régulièrement à la dégustation ces pépites rares.
  • Sur les marchés vignerons : En été, guettez les marchés bio ou paysans ; plusieurs petites exploitations y mettent en avant leurs cuvées “sept cépages” – souvent produites à moins de 3000 bouteilles !

Un voyage sensoriel à (re)découvrir sans tarder

Si la Champagne est un terroir d’icônes, elle est aussi terre de surprises : ces cépages oubliés murmurent l’histoire d’une région capable de se réinventer. Arbane, Petit Meslier, Pinot blanc, Pinot gris… Leur retour, fragile et lumineux, accompagne le renouveau d’une viticulture engagée et féminine. C’est en les dégustant – pourquoi pas à la source, au cœur des vignes – qu’on mesure toute la vitalité cachée de la Champagne, loin des sentiers battus. L’aventure est à portée de flûte… et d’amitiés à tisser.

Sources principales : Comité Champagne (champagne.fr), ouvrages “Champagne” de Peter Liem et Tyson Stelzer, interviews de vigneronnes recueillies lors des Printemps des Champagnes 2023, encyclopédie du Vin Larousse, “Le vignoble de Champagne à travers l’Histoire” (Patrick Dussert-Gerber).

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