Champagne au vert : Cumières, laboratoire vivant des vigneronnes engagées

25 décembre 2025

Entre coteaux et rivière, Cumières, village pionnier

Au fil de la Marne, Cumières n’est pas tout à fait un village comme les autres. Ici, la pente douce des coteaux épouse la lumière et les nuances de la vallée. Mais ce n’est pas seulement le paysage qui en fait un lieu à part : ce petit coin de Champagne est devenu le théâtre d’une (r)évolution tranquille portée par des femmes de caractère. Les vigneronnes de Cumières s’imposent depuis plusieurs saisons comme des pionnières de la culture durable, loin des pratiques standardisées et des discours figés.

Historiquement associé à la maison Bollinger, Cumières révèle aujourd’hui une autre facette : celle d’un vignoble vibrant d’initiatives écologiques et d’engagements concrets. À taille humaine, ce village rassemble à peine plus de 800 habitants, dont une part croissante de femmes à la tête d’exploitations familiales ou créées d’audacieuses mains de maîtresses.

Des engagements concrets : bien plus que du bio

Le premier réflexe serait de penser à la conversion biologique – logique. Mais la Champagne, et Cumières en particulier, vont souvent plus loin. Moins de 10% du vignoble champenois était certifié en agriculture biologique en 2022 (Vitisphere). À Cumières, plusieurs domaines portés (ou co-portés) par des femmes se sont investies dans la biodynamie, la viticulture de précision, ou encore l’agroforesterie – trois pratiques exigeantes qui allient pragmatisme et poésie.

  • Biodynamie : initiation de calendriers lunaires, décoctions de plantes, et préservations de l’écosystème microbien du sol.
  • Agroforesterie : plantation d’arbres fruitiers et de haies pour favoriser la biodiversité, un phénomène encore rare dans la région.
  • Viticulture de précision : recours à la technologie pour limiter les intrants et adapter chaque geste au besoin précis du pied de vigne.

Différentes certifications y cohabitent : “Viticulture Durable en Champagne” (VDC), HVE (“Haute Valeur Environnementale”) ou Demeter pour la biodynamie, auxquels une poignée de domaines de vigneronnes se sont déjà engagées (Champagne.fr).

Portraits croisés : trois femmes, trois manières d’innover

Caroline, la pionnière des sols vivants

Depuis 2016, Caroline a repris la petite exploitation familiale, avec la conviction que le vrai luxe demande du temps et de l’attention. Son credo ? Réintroduire la couverture végétale entre les rangs, décompacter les sols en douceur, bannir les désherbants. “On travaille à pied, on laisse le temps aux vers de terre de faire leur révolution souterraine,” glisse-t-elle, sourire en coin.

En deux ans, la biodiversité visible a doublé dans ses vignes : coccinelles, abeilles mais aussi hérissons s’invitent à la fête, et même les carabes, ces alliés si discrets des vignerons. Les analyses de sol montrent -40% de compaction par rapport à la moyenne régionale selon le Comité Champagne. L’impact sur les raisins se ressent tant à la dégustation qu’à la vinification : moins d’apports correctifs, plus de matière, une signature unique.

Julie, la passion des cépages oubliés

Julie incarne une nouvelle génération qui ose. Sur son exploitation en coteaux, elle a réintroduit le Pinot Meunier en forte proportion – alors qu’il a longtemps été considéré comme un cépage “mineur” par rapport au Pinot Noir ou blanc. Mais, plus audacieusement encore, elle plante quelques rangs d’Arbanne et de Petit Meslier, deux cépages locaux quasi oubliés, résistants naturellement à certaines maladies et nécessitant moins de traitements.

En Champagne, seuls 0,3% du vignoble est planté dans ces cépages rares (La Revue du Vin de France). Julie y voit une façon élégante de lutter contre la standardisation mais aussi de limiter le recours aux traitements phytosanitaires. Son ambition : redonner toute sa palette d’expression au terroir de Cumières.

Claire, quand la précision tutoie l’éco-conception

Claire, ingénieure de formation devenue vigneronne par passion, a investi dans des outils de cartographie par drone. Chaque hiver, elle analyse l’état de ses parcelles pour affiner les apports, ne pas surdoser, ne pas gaspiller – ni ressources, ni temps. Elle utilise aussi des cuves ovoïdes en béton naturel, réduisant de 70% la consommation d’eau au chai (source : Vigne & Vin), et travaille avec des fournisseurs engagés dans l’économie circulaire pour ses emballages.

  • Flacons plus légers : -15% d’émission carbone à la production.
  • Étuis et cartons issus de forêts gérées durablement.
  • Récupération systématique des eaux de pluie pour le nettoyage du matériel.

Pour elle, la logistique compte autant que la vigne : chaque détail est pensé pour minimiser l’empreinte environnementale, jusqu’à l’organisation de visites œnotouristiques à pied ou à vélo.

L’art de cultiver le lien humain… durablement

S’il est un secret bien gardé de Cumières, c’est la solidarité féminine qui anime les vigneronnes. Ici, l’échange est constant – informations sur la météo, partage de bonnes pratiques, soutien lors des vendanges. Depuis 2019, les “Rencontres de la Vigne au Féminin” ont trouvé leur place, favorisant la transmission et le dialogue intergénérationnel, entre cheffes de domaine, apprenties et amatrices éclairées.

À travers ces réseaux, les bonnes idées circulent : mutualisation de matériels pour limiter l’achat d’équipements, organisation de formations sur la gestion responsable de l’eau ou les traitements naturels, ateliers pédagogiques pour enfants du village. Deux exploitations tiennent un carnet de bord ouvert aux écoles de Cumières, pour raconter “la vie de la vigne au fil des saisons” – et sensibiliser dès le plus jeune âge à la préservation du patrimoine vivant.

Un impact qui inspire la région et au-delà

Si Cumières reste modeste par la taille, son influence dépasse largement ses limites. Plusieurs initiatives nées ici sont observées à l’échelle départementale ; la solidarité, la formation et l’innovation au féminin irriguent même des réseaux champenois plus larges. Selon le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, les exploitations féminines sont aujourd’hui 23% du vignoble dans la Marne – une progression de 7 points en dix ans (Champagne.fr).

Pratique durable Proportion à Cumières Moyenne Champagne
Vignes enherbées 92% 61%
Absence de désherbant chimique 78% 22%
Cépages rares plantés 5% 0,3%
Part de femmes vigneronnes 28% 23%

Ces efforts trouvent leur reflet jusque dans le verre : les cuvées issues de Cumières mettent en avant une authenticité vibrante, une tension minérale et une élégance qui n’a rien d’un hasard. Si la reconnaissance prend du temps – la mention “Bio” sur un champagne, encore rare en 2024, attire pourtant déjà une clientèle curieuse et fidèle. Selon Terre de Vins, la demande pour les champagnes bio a doublé sur cinq ans en France, un mouvement porté aussi par la contribution visible des femmes vigneronnes qui en font un argument qualitatif autant qu’éthique.

Pour une Champagne pleine de vie, à hauteur de femmes

Plus qu’une mode, l’impulsion donnée par les vigneronnes de Cumières révèle une nouvelle manière d’être à la vigne : attentive, inventive, résolument tournée vers l’avenir. Loin des postures figées, leur volonté de réinventer le geste agricole nourrit l’ensemble du vignoble – et séduit celles et ceux qui souhaitent explorer la Champagne différemment.

Alors, la prochaine fois que vous poussez la porte d’un domaine à Cumières, laissez-vous surprendre : ici, la liberté a le goût frais des matins sur la Marne, et l’avenir pétille, tout simplement, à hauteur de femmes.

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