Sous la surface des bulles : Secrets de la première fermentation dans la Montagne de Reims

14 septembre 2025

Les bases de la première fermentation en Champagne : un ballet millimétré

Sous l’expression “première fermentation”, on évoque cette phase durant laquelle les jus clairs, protégés de l’air, se métamorphosent doucement en vin tranquille. Ici, les sucres naturels du raisin se transforment en alcool, sous l’action discrète mais précise des levures. Cette alchimie, bien plus subtile qu’il n’y paraît, va capter le profil aromatique du millésime et façonner la matière première des futurs champagnes.

  • Région Montagne de Reims : elle concentre 9 des 17 Grands Crus champenois et se caractérise par son relief et ses sols crayeux, idéaux pour le pinot noir (source : Comité Champagne).
  • Vendanges précises : la récolte s’effectue à la main, souvent dans la fraîcheur matinale, pour préserver l’intégrité des baies et la pureté des arômes – un préambule qu’on ne retrouve nulle part ailleurs à telle échelle en France.
  • Pressurage délicat : dans des pressoirs dits “traditionnels” ou modernes (pressoirs pneumatiques à membrane), les raisins sont pressés tout en douceur, pour limiter l’extraction des composés phénoliques.

Très concrètement, c’est environ 2 550 litres de moût (la "cuvée") qui seront issus de la presse de 4 000 kg de raisins. Ce précieux jus sera ségrégué en fractions pour que seule la plus fine entre dans la première fermentation (source : Guide Larousse du Champagne).

Le choix des cuves : acier, bois, ou amphore ?

C’est en sous-sol, parfois dans des caves séculaires entaillées dans la craie, que tout commence. Le contenant choisi influe fortement sur le devenir aromatique du vin :

  • Cuves inox : Elles constituent la majorité des installations dans la Montagne de Reims, pour des raisons de neutralité aromatique et de contrôle ultra-précis des températures. L’inox permet d’éviter toute oxydation ou déviation qui viendrait altérer la signature du terroir.
  • Fûts de chêne : Quelques domaines, souvent familiaux ou portés par de jeunes vigneronnes passionnées, privilégient la fermentation en petits fûts de chêne (228-350 L). Cela apporte de la texture, de la complexité, parfois un soupçon épicé, sans jamais masquer la fraîcheur des arômes primaires. Selon une enquête du magazine Terres de Vins, à peine 10% des fermentations sont réalisées en fût dans la région, fait rare sur l’échelle du vignoble champenois.
  • Amphores ou cuves ovoïdes béton : Modernité et tradition se cherchent aussi ici ; quelques maisons innovantes telles que la Maison Roger Coulon ou la vigneronne Elodie D., optent pour des micro-vinifications en amphore, réputées conserver une grande pureté de fruit.

Température et maîtrise du temps : la clef des arômes préservés

Tout l’art de la vigneronne ou du maître de chai dans la Montagne de Reims, c’est de conserver l’identité du raisin sans le brusquer. La température de fermentation est alors scrutée comme le lait sur le feu :

  • Basses températures (16-18°C) : Majoritairement utilisées, elles ralentissent l’action des levures et évitent la dissipation des arômes volatils. Un must pour les cépages fragiles comme le chardonnay du secteur de Trépail ou le pinot noir de Verzy, à la typicité fruitée.
  • Levures sélectionnées ou indigènes ? : Si la tradition mise sur des levures indigènes, certains domaines préfèrent une souche sélectionnée, assurant une fermentation homogène sans risque d’arrêts. Selon le CIVC, près de 60% des domaines de la Montagne privilégient les levures neutres pour ne pas brouiller la perception aromatique du vin de base.
  • Contrôle “minute” : En général, la fermentation dure de 7 à 12 jours. Les outils modernes, couplés à une surveillance quotidienne (parfois féminine et maternelle, oserait-on dire), assurent la sauvegarde des arômes floraux et fruités sans excès d’alcool ni développement de notes lourdes.

Petite anecdote

Chez certaines vigneronnes, comme Hélène Beaugrand à Montgueux (Montagne du sud), il arrive que la première fermentation se fasse partiellement “sous bois” puis achevée en inox, pour un équilibre entre structure et éclat aromatique. Une astuce qui illustre bien la philosophie locale : innovation sans renier la tradition.

La clarification : soutirer, mais sans blesser

Après la danse silencieuse des levures, le vin nouveau n’est jamais limpide. C’est le temps du soutirage, réalisé dans la douceur, pour enlever lies et débris tout en gardant le maximum de fraîcheur. Le mot d’ordre dans la Montagne de Reims ? Prendre son temps :

  • Assemblage sur lies fines : De plus en plus, on laisse le vin reposer sur ses lies fines quelques semaines. Cela permet un échange subtil, favorisant les notes beurrées, la rondeur, et contribuant à la stabilité des arômes (source : “Champagnes, les grandes maisons, les petits producteurs” par Philippe Faure-Brac, MOF 1992).
  • Soutirage gravitaire : Plutôt que de pomper, la gravité fait le travail, évitant l’oxydation. Un geste doux où chaque litre est sacré, et où le respect des arômes prime sur le rendement.

Approche parcellaire et micro-vinifications : chaque clos, chaque arôme

Les vigneronnes de la Montagne de Reims, à l’instar de Charlotte de Sousa ou Sophie Lanson, misent de plus en plus sur des vinifications séparées, parcelle par parcelle. Pourquoi ? Parce que chaque micro-terroir, chaque exposition, livre une palette d’arômes à part :

  • Micro-cuves : Un seul rang de vigne peut donner naissance à un lot à part, parfois à peine 500 bouteilles. Verzenay, Mailly, Ambonnay… chacun imprime sa marque sur la pomme fraîche, la framboise ou la fleur blanche.
  • Vinifications intégrales : Certaines audacieuses pratiquent même la fermentation sous marc (la pulpe baigne dans le jus), pour obtenir plus d’ampleur sans perdre la délicatesse. Une technique expérimentale qui offre des cuvées à forte personnalité.

Cette minutie n’a rien d’un gadget marketing : l’objectif est d’assembler ensuite ces vins de base, chacun porteur d’une identité, pour composer des champagnes où chaque arôme s’exprime, aucun ne domine l’autre.

Les enjeux actuels : fraîcheur, tension, et féminité aromatique

La décennie écoulée a vu la Champagne se réinventer face au changement climatique. Dans la Montagne de Reims, les étés plus chauds accélèrent la maturité, risquant d’effacer l’acidité fraîche si caractéristique. Relever ce défi, c’est aussi protéger la diversité aromatique :

  • Dates de vendange ajustées : On vendange plus tôt qu’autrefois, souvent dès fin août, recherchant l’équilibre entre sucre et acidité pour garder éclat et tension en bouche.
  • Moins de sulfites, plus de précision : Nombre de vigneronnes réduisent drastiquement l’ajout de SO2, misant sur des conditions sanitaires optimales, pour ne pas durcir les arômes mais en préserver la palette originelle.

Quelques chiffres révélateurs

  • En 2022, 87% des cuvées de la Montagne de Reims voient leur première fermentation réalisée en cuves inox, le reste se partageant entre fûts, amphores, et expérimentations (source : CIVC 2023).
  • Sur les crus historiques de la Montagne, près de 70% des vignes sont travaillées en raisonnés ou certifiées “Haute Valeur Environnementale” (source : Vignerons Indépendants de Champagne).

À la rencontre des arômes préservés : nos bulles féminines préférées

Quelques adresses où flairer, humer, goûter la réussite d’une première fermentation maîtrisée dans la Montagne de Reims :

  • Domaine Marguet (Ambonnay) : Benoît (et son équipe ultra-féminine) privilégie la fermentation en petits fûts et amphores pour des cuvées d’une vibrante pureté.
  • Champagne Coessens (Ville-sur-Arce) : Leurs “parcellaires” expriment chaque coin de la Montagne, chaque versant, préservant toujours cette fraîcheur intense mais délicate.
  • Champagne Huré Frères (Ludes) : Cuvées vinifiées en “élevage long sur lies”, pour des notes complexes, florales et une tension remarquable.

Trame aromatique champenoise : la magie opère…

La première fermentation dans la Montagne de Reims, c’est l’étape silencieuse où tout se joue : parcelles vinifiées à la main, choix du contenant, gestion fine des températures et gestes respectueux du fruit. Les femmes de la Champagne, par leur sensibilité et leur rigueur, subliment aujourd’hui cette tradition pour livrer des vins où la fraîcheur, l’équilibre et la féminité aromatique composent la partition d’un territoire unique. Pour découvrir ces nuances, rien ne vaut la rencontre avec celles qui font vibrer la Champagne – et la promesse de bulles éclatantes, nées du respect du vivant et du temps.

Sources : Comité Champagne, CIVC, Terres de Vins, Guide Larousse du Champagne, Philippe Faure-Brac, Vignerons Indépendants de Champagne.

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